Le Safran, précieux et capricieux

Le Safran entre en scène pour le grand final de la saison au jardin du Conservatoire des Plantes ! D’une élégance rare, son pouvoir d’attraction réside dans ses trois filaments rouges appelés stigmates, dont le prix au kilo avoisine celui de l’or. Arrêtons-nous quelques instants sur l’une des épices les plus chères du monde…

Crocus sativus fleur et abeilleUn dandy au royaume des plantes

Alors que l’on pourrait croire que les jardins du Conservatoire ressemblent à un dédale de floraisons fanées et de feuilles mortes, une plante vivace de la famille des Iridacées se décide enfin à sortir du sol. Du mois d’Octobre à la mi-Novembre, on peut observer la fleur fragile du Safran trembler sous la brise Automnale. Crocus sativus est une plante à tige souterraine renflée et entourée d’écailles, appelée «  corme », qui présente des feuilles vert-tendre, longues et étroites, dressées. Ses pétales sont mauves, finement striées de violet. Le jaune chaleureux de ses étamines s’accorde parfaitement avec le rouge vif de son pistil, formé de trois stigmates élancés. Il offre ses couleurs chatoyantes à l’œil du visiteur, à contretemps, comme s’il choisissait le moment idéal pour faire une entrée remarquée au jardin.

Pas sauvage pour un sou

Le Safran est cultivé depuis plus de 3500 ans, notamment par les Phrygiens, Crétois et Babyloniens pour ses qualités médicinales et tinctoriales (1). Il s’agit d’une plante stérile, totalement inconnue à l’état naturel. D’après la mythologie Romaine le Safran serait apparu aux endroits où Jupiter et Junon se seraient étreints. C’est de la semence échappée du Dieu des Dieux que serait née cette plante (2). D’où peut-être sa réputation aphrodisiaque dans l’Antiquité ? Parallèlement à cette origine scabreuse, on a identifié un ancêtre présumé au Safran cultivé qui serait le Crocus cartwrightianus, originaire de l’Est de la Mediterrannée (2). Notre Safran actuel serait le résultat de sélections sur plusieurs millénaires. L’objectif étant toujours de sélectionner les individus présentant les plus longs stigmates. Car ces filaments sont au centre de toutes les attentions, ils donnent un produit aussi coûteux que recherché. A lui seul il résume toute la plante, et ce n’est d’ailleurs pas par hasard si le nom de genre Crocus, du Grec Krokos, signifie filament (1) !

Sa culture a traversé les frontières et les civilisations. Aujourd’hui c’est l’Iran qui décroche la palme du plus gros producteur de Safran au Monde avec 80 tonnes par an. Il est suivi par le Cachemire qui produit 20 tonnes par an. La Grèce atteint les 6 tonnes, le Maroc seulement 2, l’Italie et l’Espagne se contentent d’une tonne… Et la France ? Nous ne produisons chaque année que 100 kilos de cet or rouge (3). Sa qualité est mondialement réputée, notamment celui en provenance du Gâtinais et du Sud de la France.

Crocus sativus

Le prix de la délicatesse

La culture du Safran est rentable mais exigeante, derrière la précieuse poudre rouge se cache de longues et minutieuses heures de travail. Sur la floraison qui dure environ trois semaines, le cueilleur doit guetter les quelques jours de floraison massive. Les fleurs apparaissant la nuit, il faut veiller à récolter chaque nouvelle fleur au matin, et ceci avant midi pour éviter leur fanaison. Les fleurs du jour sont amenées à l’effeuillage, où les stigmates sont retirés à la main et mis à sécher. Le séchage au four permet de révéler l’essentiel de cet arôme à la fois chaud et amer si particulier. Mais attention ! Pour une bonne déshydratation la température doit-être inférieure à 60°C, au risque d’amoindrir la qualité et donc le prix du Safran.  Lors du séchage le stigmate perd jusqu’à 80% de son volume. La perte de poids est aussi spectaculaire, à tel point que pour obtenir un kilogramme de l’épice sèche il faut cinq kilogrammes de stigmates frais, ce qui équivaut à 200 000 fleurs (4). Le Safran est donc une plante qui, historiquement, a toujours attiré la convoitise. A tel point que c’est l’épice la plus frelatée au monde, et cela ne date pas d’hier.

Le Moyen-Âge s’enflamme pour le Safran

Dans le Moyen-âge Européen, le Safran servait à teindre, cuisiner et soigner. En effet, on disait de cette plante qu’elle était « cordiale », calmait les nerfs et incitait à la bonne humeur. On déclarait d’ailleurs d’une personne prise de fou rire qu’elle avait « dormi sur un sac de Safran » (5). De nos jours ses vertus sédatives, digestives et antispasmodiques sont toujours reconnues (6).

Côté cuisine, la sauce Cameline composée de pain trempé dans du vinaigre ou du vin, était additionnée de Poivre, Gingembre, Cannelle et d’une large pincée de Safran ! Cette sauce très populaire au Moyen-âge est tombée dans l’oubli (5), les goûts ont changé mais Crocus sativus reste très prisé dans les recettes gastronomiques comme dans la cuisine familiale. Il est par exemple incontournable dans l’assaisonnement de plats Méditerranéens comme la Paella, le Risotto Milanais ou la Bouillabaisse.

La couleur jaune d’or du Safran était appréciée tant pour la teinture des tissus, que des cuirs, ou même la teinture des cheveux (5) ! Bien entendu ce luxe était réservé à ceux qui pouvaient s’offrir des quantités suffisantes de précieux filaments. C’est pourquoi la teinture au Safran était réservée aux étoffes ayant une signification hiérarchique ou religieuse (2). Le peuple devait se contenter de teintures à la Rhubarbe. Le pigment jaune orangé qu’elle contient donne une jolie nuance dorée très résistante à la lumière et aux lavages ; à tel point qu’elle a hérité du surnom de Safran des pauvres (2).

Si l’adage populaire nous rappelle que tout ce qui est rare est cher, nous pouvons rajouter que tout ce qui est cher est sujet à la contrefaçon. Ainsi les marchands peu scrupuleux ont utilisé des plantes de couleur similaire afin de couper leurs stocks et d’augmenter leur bénéfice. Dans la liste des fraudeuses, on retrouve la racine de Curcuma (Curcuma longa), et le fruit du Paprika (Capsicum annuum) réduits en poudre. La ruse peut paraître grossière, pourtant il en est d’autres plus difficiles à déceler. Celui qui remporte la palme de l’escroquerie est le Carthame des teinturiers (Carthamus tinctorius), appelé aussi Safran des teinturiers ou encore Safran bâtard (1). Le Carthame des teinturiers était recherché pour produire des nuances de rouge très appréciées, et des jaunes de moindre qualité… Scandale donc, lorsqu’on essaie de faire passer des vessies pour des lanternes, et que l’on substitue une partie du Safran au bénéfice du Carthame moins onéreux ! L’occident médiéval ne supportant pas la tromperie, les commerçants malhonnêtes étaient sévèrement punis. A l’exemple de cet épicier Allemand qui fut condamné à être brûlé vif au milieu de sa marchandise frelatée en 1444 (5). On peut noter ici la valeur symbolique de cette sentence et l’importance de l’exemplarité dans la justice médiévale.

Aujourd’hui on peut facilement évaluer le niveau de fraude que subit le marché du Safran. En comparant la production mondiale annuelle qui atteint les 120 tonnes, avec la quantité de Safran en vente sur le marché mondial qui est de près de 300 tonnes, on arrive à une différence de 180 tonnes (3). C’est donc que 60% du Safran vendu dans le monde n’est pas du Safran.

Retour en force du Safran à la Française

Alors comment être sûr et certain de ne pas être victime de ce marché de dupes, et encore moins de l’entretenir ? Préférez le Safran en filaments, gage de qualité et d’authenticité. N’hésitez pas à vous rapprocher de producteurs locaux, afin de participer à la renaissance des Safraniers dans les bassins historiques de culture du Safran en France. Le plus connu est le Gâtinais Français, mais vous pourrez en trouver dans le Languedoc, l’Angoumois, l’Albigeois, du côté de Toulouse, et partout ailleurs où les conditions se prêtent à la culture de ce trésor végétal.

Si vous en avez l’occasion, ne manquez pas la floraison du Safran au Conservatoire des Plantes. Elle a lieu dans les dernières semaines d’ouverture au public au mois d’Octobre. Preuve qu’au jardin, il y a des sujets d’émerveillements tout au long de l’année(1)

BIBLIOGRAPHIE:

(1) BOTINEAU, Michel – Les plantes du jardin médiéval – Editions éveil nature, 2001, 176 p. ISBN / 2-84000-034-2

(2) DELPHIN, Chantal ; GITTON, Eric – Plantes à teinter – Editions Plume de carotte, Coll. Terra cursiosa, 2011, 155 p. ISBN : 978-2-915810-75-2

(3) http://www.safrandustival.fr/le-safran/production

(4) https://www.sativus.com/fr/safran/la-culture-du-safran/

(5) https://booksofdante.wordpress.com/2013/07/18/le-safran/

(6) PIERRE, Michel – Les plantes du bien-être – Editions du Chêne, Hachette livre, 2014, 519 p. ISBN